Abstract
Alors que les phénoménologues prétendent avoir dépassé le solipsisme, la plupart n’ont en fait que repousser les frontières de l’intersubjectivité des individus humains aux individus des autres espèces. Pourtant, Husserl reconnaît l’existence d’une intersubjectivité interspécifique, c’est-à-dire d’une intersubjectivité dépassant les limites de l’espèce. Il va même jusqu’à affirmer qu’on comprend parfois mieux un animal familier qu’un humain étranger. Toutefois, même s’il admet que plusieurs animaux sont capables d’une vie de conscience subjective et qu’ils vivent dans un monde de sens partagé, il ne les considère pas comme des « personnes » selon sa conception exigeante de la « personne » associée à la rationalité, à la maturité, la normalité et l’historicité. Reste qu’être une « personne », en son sens le plus primordial – et plus décisif puisque c’est celui sur lequel s’édifient des conceptions politiques,juridiques et éthiques – signifie simplement être le sujet d’un monde environnant, d’un monde commun et d’une existence biographique. Distinguer deux sens du concept de personne permet de reconnaître que les animaux ont part à la transcendantalité, qu’ils ne sont pas simplement en vie mais ont une vie à la fois biographique et communautaire, même s’ils ne sont pas en mesure de réfléchir à cette vie de conscience qui est la leur pour considérer leur place dans l’enchaînement des générations et pour adopter ce que Husserl appelle une « vocation ». La phénoménologie husserlienne des anomalies permet ainsi de reconnaître que les animaux ressortissent bien de la figure d’autrui, qu’ils sont des alter ego sujets d’une vie de conscience, et qu’à ce titre ils participent pleinement, comme les enfants, les fous et les étrangers, à la co-constitution du monde de l’esprit