Abstract
L’œuvre de Judith Butler, largement reconnue pour son apport en études de genre, recèle d’ouvertures nombreuses sur l’animalité et à son rôle dans la constitution de l’humain. Construite en patchwork et sans prétention à la systématicité théorique, elle repose, dans des contextes toujours différents, la problématique de la régulation normative de la vie et de la mort. Aussi, c’est en prenant au sérieux la marge constituante qu’y représente la question animale et par la (re)lecture de ses textes consacrés à l’étude de pratiques esthétiques et artistiques, que cet article propose un décentrement théorique pour penser la question politique des corps qui comptent des animaux. Il étudie, de manière comparée, les happenings publics de L214, 269Life, 269 Libération Animale et Anonymous for the Voiceless. Il suggère que les choix esthétiques de ces différents collectifs reflètent et alimentent un certain regard politique porté sur la cause animale et sa finalité aussi bien que sur le genre de subjectivité politique attribuée ou non aux animaux non-humains. Il montre d’abord que les animaux constituent, chez Judith Butler, d’autres corps qui comptent : il s’agit alors d’introduire la diversité des outils théoriques de læ philosophe qui articulent la dimension publique, esthétique et souvent même artistique de la vie des corps avec la question du politique. C’est cette fondation qui lui permet, ensuite, de s’atteler à l’élaboration d’une cartographie des articulations esthético-politiques dans les performances militantes antispécistes. Y sont discutées une esthétique humanimale subversive et critique du binarisme humain/animal, une esthétique de l’« horreur morale » qui appelle au changement de comportement individuel par la mise en évidence de la violence, et une esthétique de la reconnaissance, qui valorise la possibilité d’une égalité radicale entre humains et non-humains dans le partage de la précarité de toute vie et du deuil public de chaque mort.